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Johnny Guitare s’en va-t-en mer

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Sterling_hayden

Ressortie en poche du méconnu Voyage, puissant roman maritime de Sterling Hayden, avec une citation de Standard en quatrième de couverture, tirée de l’article ci-dessous, à relire, évidemment.

Le meilleur livre publié en 2009 date de 1976. Chef-d’œuvre oublié, traduit trop tardivement en France, Voyage a tout d’un objet anachronique et d’un nœud de malentendus. Ecrit par Sterling Hayden, grand acteur hollywoodien par la taille et par le talent (Johnny Guitare, Quand la ville dort, L’Ultime Razzia et Dr. Folamour, des seconds rôles tardifs dans Le Parrain ou Le Privé), ce roman n’est pas qu’une curiosité, qui n’aurait d’autre intérêt que la personnalité de son auteur, aussi fascinante soit-elle. Marin dès l’âge de 15 ans, de schooners en bateaux de pêche au large de Cuba, commandant un navire gréé en carré à 22 ans, Hayden n’a jamais été à Hollywood qu’en transit. Héros de guerre et agent secret durant la Seconde Guerre mondiale, infiltré derrière les lignes allemandes en Croatie, converti par les Partisans au communisme, il livra ses camarades à la commission McCarthy et concevra dès lors un mépris insondable pour sa propre personne, qui affleure dans sa splendide autobiographie tourmentée, Wanderer (1963). Ce premier essai littéraire fut rédigé à l’occasion de sa fuite en goélette vers Tahiti. Hors-la-loi, il emportait ses quatre enfants avec lui, après un divorce calamiteux. Ne jouant à l’acteur que pour payer ses tours du monde, il se retira finalement sur une péniche, entre la Hollande et Paris, et consacra dix ans à l’ouvrage qui nous intéresse, Voyage – une aventure de 1896.

Pynchon et Lehane par-dessus bord
Cette épopée à la cinquantaine de personnages inoubliables – du capitaine Pendleton à la bête Otto Lassiter, de l’héritier Blanchard à la fort peu chaste Loïs, de l’épave Harwar au marxiste défait John Dialog – n’est pas, contrairement à ce que peuvent suggérer la couverture et une lecture distraite, un récit de marin néoclassique, un White Jacket ou un Nègre du Narcisse passéiste, livre d’aventures d’après la bataille. C’est un roman total, à la fois mise en scène de la lutte des classes au fondement des États-Unis modernes (comme La Porte du Paradis de Cimino), galerie de portraits fidèle à l’impulsion morale de chaque être, tableau de la mer et des bois, carte idyllique des Îles du Pacifique, carte infernale de la marine de commerce, des matelots « shangaïsés », des docks et des usines, fresque sur la sexualité, les corps en corset et la peau nue, compilation de tics verbaux, de langues spécialisées et argotiques, réflexion politique sur la défaite syndicale des populistes et des démocrates… Reste une image : l’homme d’Hayden est comme ce navire ultramoderne, en acier, chargé de charbon et qui brûle sous l’effet imprévu du soleil, en pleine mer.

C’est le grand roman américain de l’aube du XXe siècle, écrit depuis son crépuscule, ce roman raté par l’avant-dernier Pynchon, trop complaisamment baroque (À contrejour), et par le dernier Lehane, trop complaisamment classique (Un Pays à l’aube) ; sur le fil, avec trente ans d’avance, le vieil Hayden avait réussi le véritable livre sur l’entrée dans ce siècle dont nous sommes aujourd’hui sortis.

Tristan Garcia

Sterling Hayden, Voyage (Payot & Rivages – 864 p., 10,50 euros)

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